Aujourd’hui, grâce à la crise du coronavirus, l’état de dégradation de nos structures mondiales actuelles apparait comme une évidence. La pandémie, aggravée par la crise climatique et écologique déjà amorcée et l’augmentation des inégalités sociales, nous a placés au pied du mur.

D’une part, nous avons l’occasion de promouvoir véritablement une approche écologique de l’alimentation et de l’agriculture qui aiderait à la protection de la Terre et de la santé humaine. Cette approche s’ancrerait en profondeur sur le tissu de la biodiversité, de la souveraineté alimentaire et des communautés alimentaires locales. Cette transformation sera possible grâce à des approches agroécologiques et biologiques, qui placent la biodiversité au coeur des systèmes alimentaires afin d’en assurer la résilience.

Ou alors, nous pourrions poursuivre la tendance internationale actuelle qui seconcentre sur l’agriculture industrielleet la convergence des technologies numériques et financières et qui intégre verticalement l’ensemble de la chaîne alimentaire – des semences jusqu’à la table – Mais ceci rend nos systèmes alimentaires dans leur ensemble plus vulnérables.

Bien que la plupart des acteurs internationaux conviennent que notre système alimentaire actuel est en bout de course, tous ne sont pas d’accord sur les schémas à mettre en oeuvre pour la « transformation des systèmes alimentaires». Désormais, le COVID, la crise de santé publique et le désastre économique qui en résulte ont accéléré les appels auGrandResetdu capitalisme en déclenchant la quatrième révolution industrielle.

Cela signifierait en l’occurence une « transformation des systèmes alimentaires » présentées sous des faux objectifs de « santé publique » et de « reprise économique » où tous les secteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire seraient encore davantage centralisés, numérisés et exploités pour obtenir des données . Cette volonté est maintenant soutenue par des organisations internationales et des dirigeants mondiaux qui unissent leurs efforts avec de grandes entreprises désireuses de poursuivre la concentration du système agroalimentaire.

En janvier 2019, plusieurs ministres de l’agriculture, en collaboration avec les Organisations des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et d’autres promoteurs de l’agroalimentaire (Forum de la révolution verte, Banque mondiale, Organisation de coopération et de développement économiques, Association des technologies de consommation, etc) ont rédigé une proposition visant à créer le Conseil Numérique International pour l’Alimentation et l’Agriculture. Ceci pour consolider toutes les données agricoles extraites des agriculteurs — une plate-forme créé par le nouveau Directeur général de la FAO, Qu Dongyu, lequel a aussi invité l’entreprise agro-technologique CropLife à se joindre à une lettre d’intention pour tendre vers une transformation numérique de la chaine alimentaire. Ceci démontre par la même occasion l’importance du partenariat avec le secteur privé.

De tels partenariats et stratégies permettront inévitablement un contrôle plus important de tous les aspects de la chaine d’approvisionnement alimentaire — allant de la production, la distribution à la consommation — comme cela a toujours été recherché au travers des les intentions monopolistiques de l’industrie agroalimentaire.

En pratique, cela s’est traduit par une volonté plus agressive de trouver de fausses solutions : des exploitations gérées par l’intelligence artificielle et des algorithmes prédictifs, une agriculture de précision, des aliments frelatés — comme la viande cultivée en laboratoire, les huiles produites synthétiquement ou le lait maternisé — des robots pollinisateurs, la biofortification, des recherches génétiques visant des formes plus avancées d’OGM et une information génétique sur la biodiversité séquencée numériquement dans un Catalogue.

Ces prétendues avancées technologiques en réponse aux crises de notre biodiversité, de la nutrition, de la faim, du climat, de l’écologie et de la santé sont présentées comme les nouvelles solutions « intelligentes » et « innovantes » pour notre chaine alimentaire. Mais en réalité, ces « solutions » n’en sont pas, car elles nous poussent en fin de compte à une réitération du système agricole industriel qui -est- justement à l’origine des différents maux.

Les fausses solutions du philanthro-capitalisme

La personne qui incarne et soutient activement ces fausses solutions est le philanthrocapitaliste Bill Gates. À peine masqué derrière une rhétorique institutionnelle fortement organisée autour d’actions humanitaires généreuses, telle que l’amélioration de la nutrition des pauvres à travers le monde ou encore l’apport de solutions au changement climatique, Bill Gates prône en fait la centralisation et la commercialisation de l’alimentation et l’agriculture via les technologies mentionnées ci-dessus – des subventions de plusieurs millions de dollars liant le marché privé à la Fondation Bill & Melinda Gates expliquent les intérêt des acteurs privés à faire le marketing de ces « solutions ».

Les programmes agricoles de la Révolution industrielle verte de Bill Gates axés sur l’alimentation et les semences ont finalement commencé d’envahir lentement les mastodontes du développement international — des institutions internationales de recherche, des organisations internationales comme le Groupe consultatif sur la recherche agricole internationale (CGIAR) dont il est le plus grand donateur privéet ses initiatives régionales influencent les politiques gouvernementales.

À partir de 2007, avec l’Alliance africaine pour la révolution verte, Bill Gates a rapidement lancé des initiatives de révolution verte et d’agriculture industrielle telles que l’Alliance mondiale pour une meilleure nutrition. Cette Alliance africaine promeut la biofortification à travers la technologie des OGM, Ag Tec et Ag One en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et elle tend vers une digitalisation des petites structures agricoles parallèlement à l’utilisation d’un modèle d’agriculture industrielle et commerciale.

Sans parler des milliards de dollars de subventions accordées à la recherche sur les OGM et leur commercialisation (comme pour divers types de riz OGM, brinjal Bt et bananes OGM, par exemple), à la technologie d’entraînement génétique pour l’ extinction des ravageurs , aux alimentsproduits biosynthétiquement et aux institutions internationales pour mettre de l’huile dans les rouages de la politique internationale. Tout est fait main dans la main avec de grandes entreprises agroalimentaires telles que Monsanto, Bayer, Syngenta et Corteva.

Une réelle stratégie de travail avec ces grandes entreprises accélère efficacement le pipeline qui mène de la recherche technologique directement au produit et cela ne profite qu’aux plus grandes sociétés privées capables de commercialiser des produits sur le marché. Et cela n’a été rendu possible que par l’érosion de la légitimité des accords internationaux sur la biodiversité tels que la Convention pour la BioDiversité et son protocole de Nagoya , par exemple.

Ces organisations internationales ont été mises en places pour protéger notre biodiversité et ont été complètement perverties en raison de la digitalisation des génomes des semences dans un Catalogue officiel, ceci menant directement au bio-piratage. La convergence entre la technologie de l’information et la biotechnologie rendue possible par le dépot de brevets via ce Catalogue recensant les semences et les séquences de génomes officielles porte atteinte aux droits des agriculteurs, car les agriculteurs n’ont pas besoin de demander d’autorisation dès lors que le génome fait partie du Catalogue. Bien que les semences vivantes doivent évoluer « in situ », il est possible de déposer des brevets sur des génomes de semences ayant été développées « ex situ ».

Sous le prétexte du COVID-19 et de l’urgence, nous assistons à une évolution rapide de ces technologies et de ces stratégies sans tenir compte de leurs effets sociaux, écologiques ou sanitaires (connus et encore inconnus). S’il est devenu extrêmement tentant de rechercher frénétiquement des solutions immédiates à ces crises, et donc sur du court-terme, ces fausses solutions incarnent en réalité une mentalité “solutionniste” basée sur la croyance que la technologie est le seul mécanisme capable de résoudre des problèmes complexes.

En réalité, cette croyance se fonde sur un profond déni et l’ignorance que c’est cette technologie agricole même, pensée initaliement au service d’une Révolution verte, qui a engendré et aggravé les crises. Ce déni et cette attitude de sans cesse vouloir résoudre les crises apparues en premier lieu sous l’effet des solutions technologiques et industrielles proposées par l’homme risque de créer encore davantage de cercles viscieux, qui laisseront ces problèmes structurels non résolus et pérénniseront encore davantage les crises.

Publié avec la permission de Navdanya International.